[eLION Bonus] Solutions électriques pour les engins mobiles
Animateur : Bonjour à tous et bienvenue dans un nouvel épisode de notre podcast. Exceptionnellement nous vous proposons deux nouveaux épisodes inédits sur le sujet de l’électrification des engins mobiles. Je retrouve Ornela Muskaj, ingénieure système électrique, qui nous parlera des solutions de motorisation électrique pour les engins mobiles proposées par Bosch Rexroth France.
Ornela Muskaj : Bonjour
Animateur : Nous avons eu une introduction sur ce sujet dans un épisode précédent, et maintenant nous voulons entrer un peu plus dans le détail, notamment sur la partie mécanique, et ensuite sur l’électromagnétique. Commençons donc par la mécanique. Qu’est-ce qui caractérise vos solutions de motorisation électrique ?
Ornela Muskaj : Les applications mobiles sont des applications sévères voire extrêmes avec des contraintes mécaniques telles que les chocs, vibrations et environnementales telles que température, humidité, poussière, brouillard salin….
Le cahier des charges de départ les prend en compte et impose alors des choix technologiques pour que nos produits résistent à cet environnement et ces conditions d’usage.
Animateur : Quel est alors le facteur le plus contraignant ?
Ornela Muskaj : Déjà, l’étanchéité du moteur, vous savez tous que l’eau et l’électricité ne font pas bon ménage. Or, les engins mobiles travaillent à l’extérieur et sont soumis à la pluie, la neige et critère peut être le plus critique et à ne surtout pas négliger au laveur haute pression utilisé pour laver les machines. Pour répondre à ce critère, nous mettons les moteurs sous 1 mètre d’eau pendant 30 minutes et ils doivent rester étanches et fonctionnels une fois ressortis. Essayez voir avec votre smartphone…
Animateur : Mais la contrainte principale, ce sont les chocs et vibrations, non ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur vos développements dans ce sens ?
Ornela Muskaj : En effet c’est le point le plus critique. Nous avons alors, pour éviter des temps le développement trop long, travaillé sur la simulation.
Animateur : Ce qu’on appelle le jumeau digital ?
Ornela Muskaj : C’est cela. Dès les premiers dessins, nous avons démarré les actions de simulation par méthodes d’éléments finis et tests de résonnance. En clair, nous avons déterminé quelles étaient les fréquences propres du carter moteur et du moteur complet lui-même. Puis dans ces zones de fréquence, soumis les modèles numériques à des excitations (accélérations sur différents axes) que nous avions spécifié dans le cahier des charges.
Il est essentiel de tester dans ces zones spécifiques. Les résonnances peuvent en effet conduire à des surcharges très importantes. Par exemple, si l’on considère le moteur uniquement fixé par son flasque avant, on peut comprendre aisément que le point arrière se mette à vibrer, et cela peut aller jusqu’à un facteur d’amplification de 20. 1 g rapporté au flasque avant se traduit alors donc par 20 g au niveau du flasque arrière. Par contre, 10 g se traduisent par 100 g au flasque arrière, cet effet n’est pas linéaire.
Mais il est très important de le connaître parfaitement car à l’arrière, il y les câbles haute tension, resolver et leurs connecteurs.
Animateur : Ce process était-il complètement nouveau pour vous ?
Ornela Muskaj : Oui, et nous avons payé pour beaucoup apprendre, en raison des nombreuses itérations nécessaires. Néanmoins la simulation des phénomènes nous a beaucoup apporté et simplifié l’étude.
Animateur : Et maintenant vous avez un jumeau digital du produit complet ?
Ornela Muskaj : Nous avons oui une sorte de jumeau digital. Néanmoins dans notre process de développement (prototype, échantillon, puis B puis C), quelques modifications ont été nécessaires.
Animateur : Oui, mais la simulation et le monde réel sont 2 choses différentes. L’industrie veut toujours tester moins, mais vous comment avez-vous procédé ? Moins de tests ? Comment est l’approche pour un tout nouveau produit ?
Ornela Muskaj : Effectivement, on peut tout simuler puis calculer, mais tant que le modèle n’est pas corrélé, vérifié par des essais réels, il ne sert à rien. A la fin de chaque étape des prototypes, nous avons dû réaliser toute une batterie de tests de chocs et vibrations, et à chaque fois sur le plus long moteur de chaque variante de diamètre, qui est le cas le plus pénalisant.
Animateur : En Allemagne, à Lohr ?
Ornela Muskaj : Non, seulement en partie. Il n’y a que très peu de laboratoires d’essais, même au niveau européen, capable de tester des moteurs aussi imposants, avec la variété de fréquences et d’intensités demandées. C’est pourquoi nous avons eu recours à des laboratoires externes. Notre modèle de simulation est maintenant validé.
Animateur : Pouvez-vous nous décrire les difficultés que vous avez rencontrées lorsque vous avez commencé la simulation et les tests ? Et quelles modifications vous avez dû apporter durant le développement ?
Ornela Muskaj : Les plus grosses difficultés venaient des résonances dont j’ai parlé. Elles provoquaient des accélérations si fortes que nous avons essuyé de multiples défaillances : des vis cassées, des fuites dans le carter, et autres déboires de ci de là.
Animateur : Est-ce que c’était une surprise pour vous ?
Ornela Muskaj : Oui, nous avions sous-estimé ces résonances ou plutôt leurs conséquences et toutes les forces et les contraintes qui s’appliquent pendant les vibrations sinusoïdales, mode d’excitation que nous avons choisi car s’approchant le plus de ce qui se passe sur un engin mobile et spécialement en tout-terrain. C’est aussi par expérience ce que nous appliquons sur les autres produits de la gamme comme les pompes par exemple.
Animateur : Il s’agit donc d’une exigence de l’application, du marché mobile. Vos concurrents répondent ils aux mêmes exigences ou avez-vous ici un avantage ?
Ornela Muskaj : Pour le carter moteur en particulier, nous avons un vrai avantage concurrentiel. Le moteur est aujourd’hui conçu pour résister à toutes les charges réalistes imaginables dans les machines mobiles.
Animateur : Parlons de la partie active électrique. Quelle est la problématique de vos clients sur ce point ? Et comment y répondez-vous ?
Ornela Muskaj : Au tout début, nous voulions le moteur idéal capable de couvrir sinon toutes, du moins la grande majorité de nos applications connues. La fonction principale a été néanmoins la fonction de translation (entraînement de déplacement de la machine).
Pourquoi la translation et qu’est-ce qu’elle a de particulier ? Les machines mobiles sont majoritairement des machines de production avec lesquelles on parle de rendement, elles doivent donc pouvoir accélérer rapidement, y compris à pleine charge pour avoir des temps de cycle les plus courts possibles. Mais elle doit pouvoir aussi démarrer sur une pente en pleine charge.
Animateur : Mais il est possible d’aller brièvement en surcharge ?
Ornela Muskaj : Oui, mais selon le terrain rencontré ou le profil de mission de la machine, cette surcharge peut ou non être utilisée. Une machine qui n’accélère que quelques secondes ou charge un godet puis translate sur le plat comme une chargeuse par exemple peut typiquement l’utiliser. Une machine forestière toujours sur les pentes donc toujours à effort de traction maximum, beaucoup moins, voire pas du tout.
Dans d’autres cas, il nous faut de la puissance sur la durée, du couple à faible vitesse certes, mais aussi des vitesses élevées pour la translation sur la route. Qui n’a jamais pesté, bloqué derrière une chargeuse ou une pelle par exemple ?
Animateur : Tout cela semble un peu antinomique ?
Ornela Muskaj : Avec la vitesse, oui. En effet, les engins et donc nos moteurs ont besoin de fort couple à faible voire très faible vitesse (souvenez-vous : démarrage en pente) mais aussi de régimes élevés pour atteindre une vitesse maximale. Et en même temps encore assez de puissance pour ne pas ralentir à la moindre côte.
Ce point particulier a été un de nos critères de développement. Notre spécification exige d’avoir un rapport d’environ 4, entre le régime max jusqu’auquel le couple du moteur reste constant, et le régime auquel le couple moteur baisse de 20%. Cette exigence de conception est parfaite pour nos entraînements de traction.
Animateur : Et comment y êtes-vous parvenus ?
Ornela Muskaj : C’est là que la conception électromagnétique entre en jeu. Pour augmenter la densité de couple, deux options s’offrent à vous : accroître le courant ou le flux magnétique. Mais le courant est souvent limité par le système, la batterie ou l’onduleur.
Augmenter le flux magnétique est une solution, en augmentant le nombre d’aimants dans le rotor. Mais c’est contre-productif pour la haute vitesse, parce que le rotor génère une tension induite dans le système, qui elle-même est limitée par le système.
Pour continuer à pouvoir augmenter la vitesse, il faut réduire le flux du rotor par un processus appelé « affaiblissement de champ ». Cela consiste à injecter un courant dans le moteur pour contrer le champ magnétique du rotor.
Mais plus on veut augmenter le régime, plus il faut de courant pour affaiblir le champs, courant qui n’est alors plus disponible pour générer du couple, qui diminue donc avec l’augmentation de la vitesse.
En clair, plus on augmente le nombre d’aimants dans le rotor pour obtenir un couple élevé, moins la plage de vitesse est étendue.
Animateur : Alors comment est-ce que vous optimisez cela ?
Ornela Muskaj : En procédant à plusieurs itérations d’optimisation pour trouver le meilleur compromis entre couples élevés à faible vitesse et les vitesses élevées que l’on souhaite atteindre.
Animateur : Etes-vous alors satisfaite du résultat ?
Ornela Muskaj : Oui pour la fonction translation, ce moteur est super, mais nous voyons des cas où ce type de moteur n’est pas le plus approprié.
Pour les entraînements de pompes hydrauliques par exemple, fonction qui reste aujourd’hui encore nécessaire sur les machines mobiles, la vitesse maximale de rotation est d’environ 3000 RPM.
Dans ce cas, il faut plutôt un moteur avec un couple élevé et donc avec une plage de vitesse réduite entre guillemets (on oppose ici 3000 tr/min à 10000 tr/min). C’est exactement ce sur quoi nous travaillons actuellement pour notre prochaine génération de moteurs, qui complètera l’actuelle.
Animateur : Pour finir, j’aimerais qu’on parle un peu de l’export. Car il y a une réglementation particulière en matière d’export, et notamment par rapport au double usage, qui pourrait poser problème au niveau de l’inverter. Comment gérez-vous ce sujet ?
Ornela Muskaj : C’était un critère qui a également influencé notre conception électromagnétique. Comme vous l’avez mentionné, le double usage limite les onduleurs à des fréquences de sortie inférieures à 600 hertz, au-dessus un contrôle à l’export est obligatoire. C’est extrêmement contraignant. Notre objectif était donc de développer des moteurs avec un inverter qui ne nécessite pas de telles fréquences. Étant donné que la fréquence est proportionnelle à la vitesse et au nombre de paires de pôles d’aimants et que nous voulions absolument atteindre des vitesses de 10-12000 tr/min, nous avons réduit le nombre de pôles.
Animateur : Encore un compromis donc ?
Ornela Muskaj : Exactement. Pour les nouveaux moteurs d’entraînement de pompes, par exemple, ils ont plus de paires de pôles pour plus de couple, mais comme il n’y a pas besoin de vitesses élevées, la limite des 600 hertz n’est pas franchi.
Ornela, quelles sont les prochaines étapes ? Sur quoi l’équipe travaille-t-elle en ce moment ? Est-ce que tout est résolu ?
Que non, tout est en perpétuelle évolution, ne pas oublier que cette gamme est très jeune. Aujourd’hui, la gamme dite rapide appelée EMS1 est en production avec 4 diamètres, 4 longueurs et différents bobinages possibles.
Actuellement nous développons petit à petit les moteurs pour les entraînements de pompes appelés EMP1, pour mémoire couple élevé, vitesse de rotation « moyenne ».Nous réfléchissons aussi à des solutions de compromis différents, entre les deux solutions actuelles et à venir, quelque part entre les deux.
Animateur : Mais initialement le plan n’était-il pas d’avoir des produits homothétiques et de ne pas attaquer tous les cas spécifiques ?
Ornela Muskaj : Tout à fait, mais il existe des clients dont l’application a besoin de ces compromis avec des vitesses encore élevées. A réfléchir comment les satisfaire, tout en respectant notre principe de modularité en reprenant des briques déjà développées comme le carter par exemple ou certaines pièces internes.
Animateur : A l’extrême, le client pourrait décrire son application, vous regardez OK carter X ou Y, Pièces internes A ou B, etc. La combinaison tient les chocs demandés, les vibrations, la température, ces cycles de travail… En principe il peut choisir et configurer presque son moteur lui-même ?
Ornela Muskaj : Oui, tout à fait.
Animateur : Merci Ornela pour votre temps et votre expertise. Au revoir.
Ornela Muskaj : Merci à vous, au revoir.
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