« Notre relation à la machine se personnalise. »
Le professeur Norbert Gronau, de l’université de Potsdam, connaît par ses recherches les exigences posées à l’interface du futur entre l’homme et la machine.
Entretien avec le professeur Norbert Gronau
Jusqu’à quel point l’usine est-elle affectée par le numérique ?
C’est une véritable métamorphose qui apporte des capacités et des caractéristiques inédites. Cette transformation permet à l’usine de se différencier radicalement de ce qu’elle était auparavant.
Que se passe-t-il donc dans les halls de production ?
Un vent nouveau balaye les halls de production et apporte un changement pour les salariés qui s’apparente à une mutation. La machine n’est plus un objet stupide qui exécute des ordres. Elle devient intelligente, elle sait ce qu’elle fait, si elle le fait bien, et quelle sera sa prochaine tâche. En quelque sorte, la machine intelligente développe une forme de conscience. L’homme doit s’attendre à ce que cette rencontre ait presque lieu sur un pied d’égalité et il faut qu’il établisse une relation personnalisée avec sa machine.
Il faut aussi qu’il accepte que la machine ait plus souvent raison qu’il ne voudrait. C’est dans l’intérêt de l’usine. Malgré tout, il est inutile de craindre la suprématie des automates. Nous n’avons pas l’intention de remplacer les humains par une machine, mais nous voulons rendre son interaction plus efficace et plus astucieuse. L’homme conserve sa responsabilité et c’est lui qui décide et tranche.
Quelles sont les conséquences de l’interaction entre l’homme et la machine ?
En premier lieu une tâche fonctionnelle : à partir du cloud, l’interface entre l’homme et la machine doit filtrer et décrire les données de façon à ce que ces informations soient pertinentes. Elle soutient l’homme dans son action et ses décisions. Nous disposerons d’un mini-système de gestion de l’information sur chaque machine.
Cette intense interaction prend par ailleurs une dimension socioculturelle. A l’instar de l’automobile autrefois ou du smartphone aujourd’hui qui ne sont plus guère des objets de convoitise mais sont devenus familiers, les IHM (interfaces homme-machine) deviendront nos compagnons indispensables dans le monde du travail.
Quels sont les facteurs qui favorisent l’adhésion ?
C’est très simple. Un outil est adopté à partir du moment qu’il présente une utilité personnelle. J’invite donc tout le monde à essayer ce qui est nouveau. On en découvre très vite les avantages. L’arrivée des tablettes au niveau de la gestion de l’entreprise est une excellente illustration de son utilité. Le dirigeant n’utilise pas l’outil numérique comme symbole de réussite, mais parce qu’il lui procure un accès facile à toutes les données et sans que son assistant ait à se rendre à la réunion avec quatre porte-documents.
Vous dites que les salariés ne seront plus des exécutants, mais des pilotes ou des navigateurs. Est-ce à dire que leurs qualifications devront répondre à de nouvelles exigences ?
Oui, mais la numérisation apporte son aide. Nous assisterons bientôt à la symbiose entre l’apprentissage et le travail. A l’avenir des affirmations du genre « c’est là que je travaille, mais je n’apprends rien », ou l’inverse « c’est là que j’apprends, mais je ne travaille pas » n’auront plus cours. Apprendre et travailler iront de pair. Le lieu d’apprentissage est l’interface entre l’homme et la machine et cette formation est personnalisée. L’apprentissage généraliste est caduc.
Qu’est-ce que cela signifie pour la machine ?
Il faut que nous élargissions l’intelligence de la machine de sorte qu’elle ressemble de plus en plus au traitement de l’information par les humains. L’humain discerne ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas. En un temps record, il écarte ce qui importe peu. Je participe d’ailleurs à un projet de recherche sur l’oubli intentionnel. La recherche sur le cerveau part du principe qu’en écartant l’information, les contenus ne sont pas effacés de la mémoire, mais peuvent être rappelés par des indications incitatives. Une machine n’est pas encore capable de le faire.
Quelle est l’influence des centres de formation sur la qualification du personnel ?
Elle est capitale. C’est le lieu où l’on expérimente et acquiert de l’expérience. C’est le lieu privilégié pour confronter les personnes aux nouvelles exigences. « Jouer » sans danger dans des conditions réalistes est propice à la confiance et favorise l’usage sans appréhension. La courbe d’apprentissage est éloquente. Les centres de formation comme le centre d’application Industrie 4.0 de Potsdam concrétisent l’étroite coopération entre la recherche et l’industrie.
Quel rôle jouera l’approche ludique dans l’usine du futur ?
Les jeux éducatifs sont un excellent complément aux IHM numériques. Un exercice de simulation des thématiques de qualité ou de lancement en série est à la portée de tous. L’approche « ludique » marque aussi une saine concurrence pour atteindre le prochain niveau. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de privilégier l’esprit de compétition, mais d’encourager de manière ludique l’intelligence et la responsabilité de tous, tout en mettant en place un facteur de motivation.
Anticipons sur dix ans : quelle pourrait être l’évolution concrète de l’interaction entre l’homme et la machine ?
L’interaction entre l’homme et la machine fera davantage appel aux organes sensoriels humains. La réalité virtuelle et les appareils numériques connectés feront avant peu partie de l’usine. De la même façon que nous nous sommes habitués à porter un casque de protection ou des chaussures de sécurité, nous utiliserons des étiquettes RFID pour nous identifier ou des lunettes à réalité augmentée pour nous orienter.
Le professeur Norbert Gronau est depuis avril 2004 titulaire de la chaire d’informatique de gestion de l’université de Potsdam en Allemagne, en particulier en ce qui concerne les processus et les systèmes. Il consacre ses recherches à la gestion des connaissances ainsi qu’aux systèmes adaptables et polyvalents. Norbert Gronau est l’initiateur du centre d’application Industrie 4.0, cœur du projet de recherche « MetmoFAB » regroupant les activités d’une installation industrielle virtuelle, un centre de formation et un laboratoire de recherche.