Industrie 5.0, nouvelle révolution industrielle ou projet de société ?

Pascal Laurin, directeur de division chez Bosch Rexroth et très impliqué dans le développement d’une industrie du futur, nous parle aujourd’hui du concept de l’industrie 5.0

Lors de ce podcast, Pascal nous donne son point de vue quant à l’industrie 5.0 ou, l’industrie « 4.0+1 » comme il aime le dire. Il expliquera donc les principales évolutions de l’industrie 4.0 tout en illustrant la différence entre une industrie 4.0, qui a fait ses preuves, et une industrie 5.0, qui a encore tout à prouver.

Nouvelle révolution industrielle ou projet de société ? Notre expert, Pascal Laurin se chargera d’y répondre durant ce podcast.

Animateur : Bonjour et bienvenue dans Expertise Podcast. J’ai le plaisir d’avoir aujourd’hui comme invité Pascal Laurin, Directeur de division chez Bosch Rexroth France, très impliqué depuis des années dans le développement de l’Industrie 4.0.

Pascal est particulièrement bien placé pour nous parler du concept émergent d’Industrie 5.0. Il va nous donner son point de vue sur ce « +1 » que l’industrie européenne est appelée à mettre en œuvre.

Si je parle d’industrie européenne, c’est parce que le concept d’Industrie 5.0 a été formalisé dans une publication de la commission en 2021 et qu’il est associé à une vision politique de ce que pourrait/devrait être l’industrie européenne dans les années à venir.

L’expression « Industrie 5.0 » vient de la fusion de deux concepts : celui d’Industrie 4.0 apparu en Allemagne en 2011 et celui de Society 5.0, apparu au Japon en 2016. Pascal, pouvez-vous nous dire quelles sont les différences entre ces deux concepts et pourquoi il est intéressant de les fusionner ?

Pascal Laurin : L’Industrie 4.0 allemande se focalise sur le maintien de la compétitivité et de l’emploi. Elle utilise le digital et les nouvelles technologies pour briser certains plafonds de verre en matière d’excellence opérationnelle, et apporter de la flexibilité en production. Le 4 fait référence à une quatrième révolution industrielle.

La société 5.0 japonaise apparaît, elle, comme une stratégie de transformation. Elle s’appuie également sur le digital et les nouvelles technologies, mais au bénéfice de chaque citoyen. Le 5 fait référence à une nouvelle manière de s’organiser en société, après les chasseurs-cueilleurs, les sociétés agricoles, les sociétés industrielles et les sociétés de l’information. La société 5.0 serait celle de l’équilibre entre le développement économique, le progrès social et la préservation de l’environnement.

Parler d’Industrie 5.0, c’est donc remettre des valeurs humaines et environnementales au cœur de nos projets industriels. Ce n’est pas foncièrement nouveau car l’homme était déjà au centre de l’Industrie 4.0. Je vois cela comme la volonté de réaffirmer l’ambition RSE de l’industrie. C’est pour cela que j’aime dire que le 5.0 c’est du 4.0 +1, l’industrie 4.0 à laquelle on ajoute une dimension RSE forte.

Animateur : Et donc, avec l’Industrie 5.0, l’Europe veut faire du secteur industriel un moteur de transformation de la société ?

Pascal Laurin : Oui. C’est ce que la Commission Européenne dit quand elle définit l’Industrie 5.0 comme un pourvoyeur de prospérité et un modèle capable d’atteindre des objectifs sociétaux allant au-delà de l’emploi et de la croissance.

À moyen terme, il s’agit de développer une industrie européenne plus durable, résiliente, qui excelle dans le bien-être au travail. Ce nouveau modèle redéfinit les relations entre l’industrie et la société, en introduisant les notions de limites planétaires et sociales. Il revalorise aussi la fonction de production, indispensable à l’indépendance et à la souveraineté de notre pays.

Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est que le concept d’Industrie 5.0 est un concept qui valorise la créativité. Là où l’Industrie 4.0 se cantonnait encore beaucoup à améliorer, nous entrons dans une période où presque tout est imaginable.

L’Industrie 5.0 initie un changement de paradigme avec 3 axes d’évolution :
1 : le passage d’une approche individuelle (limitée à l’entreprise) à une approche systémique
2 : un focus mis sur l’innovation plutôt que sur la compétitivité
3 : avec à la clé une transformation des modèles plutôt qu’une optimisation des systèmes.

Animateur : Est-ce que le digital conserve une place centrale dans l’Industrie 5.0 ? Et quelles sont les nouvelles briques technologiques sur lesquelles les entreprises vont pouvoir s’appuyer pour innover ?

Pascal Laurin : Oui le digital reste essentiel. Et ma conviction est que nous entrons vraiment dans le temps de l’exploitation de la donnée à grande échelle.

La plus grosse évolution sur le plan technologique est l’arrivée de l’IA. Je pense qu’en appliquant l’IA sur les données d’écosystèmes industriels complets, et en visant des bénéfices pour l’homme et l’environnement, on peut découvrir des pistes d’innovation surprenantes.

En parallèle de l’IA, je pense que le edge computing va lui aussi beaucoup se développer. Pré-traiter l’information au plus près de la source est un gage de sécurité et d’efficience, notamment énergétique.

Animateur : Et parmi les technologies déjà utilisées par l’Industrie 4.0, quelles sont celles qui vont se renforcer selon vous ?

Pascal Laurin : De manière évidente, toutes les solutions qui permettent d’améliorer la collaboration homme-machine. Le bien-être au travail est plus que jamais une valeur essentielle ; tout ce qui peut permettre de préserver la santé, tant physique que psychologique sera valorisé, j’en suis convaincu. Cela vaut aussi bien pour le pilotage de lignes que pour le travail sur des postes de travail manuels. Les postes de travail connectés sont un premier exemple concret dans ce sens.

Toutes les technologies de modélisation digitale sont aussi appelées à se développer. Car si l’IA nous propose des pistes d’innovation, il va falloir les tester avant de les valider. Et si nous voulons vraiment rendre des écosystèmes complets plus vertueux, nous allons devoir aller beaucoup plus loin dans le développement des jumeaux numériques. Il va falloir faire communiquer beaucoup de modèles les uns avec les autres.

Et bien sûr, la cybersécurité sera un dénominateur commun pour toutes les innovations importantes. Mais je ne vous apprend rien : la cybersécurité est essentielle à la résilience de notre industrie.

Animateur : Nous nous demandions dans le titre de ce podcast si l’Industrie 5.0 est une nouvelle révolution industrielle ou un projet de société. Quel est votre sentiment personnel sur cette question, Pascal ?

Pascal Laurin : Pour moi, l’Industrie 5.0 c’est avant tout une des clés de la survie de l’industrie européenne. Ne nous leurrons pas, il y a une vraie guerre économique qui se joue entre les Etats-Unis d’un côté et la Chine de l’autre.

Je pense qu’il y a aussi derrière le concept Industrie 5.0 une prise de conscience politique que l’acte de produire des biens matériels est essentiel dans la vie d’une société. Cette prise de conscience redonne du sens à l’industrie. Pour quelqu’un comme moi qui a fait toute sa carrière dans le milieu industriel et qui est passionné par cet univers, c’est extrêmement revigorant !

C’est aussi une façon de mettre en lumière le fait que pour produire de manière radicalement différente (c’est à dire en intégrant les limites matérielles de notre planète), il faut penser de manière radicalement différente. Et probablement imaginer des modèles complètement nouveaux.

C’est enfin une invitation à jouer collectif, plus que nous ne l’avons jamais fait. À développer des symbioses industrielles par exemple. Tout ou presque est à inventer. Je trouve cela extrêmement enthousiasmant !

Animateur : En effet Pascal, cela ouvre de belles perspectives pour l’industrie française et européenne dans les années à venir. Merci pour ce partage inspirant !

Voilà, nous arrivons au terme de ce premier podcast sur le thème de l’Industrie 5.0. Mon intuition me dit que ce ne sera sans doute pas le dernier, donc si ce sujet vous intéresse, n’hésitez pas à suivre de près nos publications.

À très vite !